Les attentes étaient grandes face au budget provincial déposé le 22 mars dernier. En matière de financement à la mission des organismes d’action communautaire autonome, malgré des annonces ciblées au bénéfice de certains secteurs tels l’hébergement communautaire jeunesse, les organismes familles ou des organismes qui ont pour mission de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, les investissements globaux sont loin de répondre aux attentes et aux besoins criants exprimés sur le terrain (lire ici la vague de réactions au lendemain du budget).

Mais qu’en est-il des autres mesures (ou de absence de mesures!) dans le budget, notamment en matière de justice sociale et de lutte à la pauvreté ?

Il va sans dire que le mouvement communautaire, avec ses 4 000 organismes implantés partout au Québec, constitue un maillon essentiel du filet social et contribue activement à ce que notre société soit plus juste et inclusive. Mais la justice sociale ne saurait se réaliser que par le financement des organismes d’action communautaire autonome…

En effet, à quoi bon renforcer le réseau communautaire, si les services publics et les programmes sociaux sont mis en reste ? À quoi bon financer les organismes communautaires, si des actions structurantes pour renverser les rapports d’oppression et lutter contre les inégalités ne sont pas menées ? Les trois pans de notre filet social sont interdépendants et il est impératif de miser sur leur renforcement mutuel.

Pour apporter un éclairage en matière de justice sociale face au dernier budget du gouvernement de la Coalition Avenir Québec, nous relayons une brève analyse en matière de lutte à la pauvreté, plus particulièrement l’annonce d’une aide ponctuelle de 500$.

« UNE AIDE PONCTUELLE, UNE PAUVRETÉ PERSISTANTE » 

Une des mesures phares annoncées dans le budget vise à octroyer 500 $ aux adultes québécois qui ne gagnent pas plus de 100 000 $ par année, pour compenser la forte hausse du coût de la vie, qui a été de 5,4 % au Québec entre février 2021 et février 2022. Cette aide financière sera ponctuelle et à montant unique pour toute personne éligible qui produit sa déclaration d’impôt. Cette mesure représente 3,2 milliards $ dès cette année et toucherait 6,4 millions de personnes.

En quoi cette initiative est-elle critiquable ?

Non seulement les montants versés aux personnes en situation de pauvreté s’annoncent-ils insuffisants, mais le caractère ponctuel de cette aide est tout aussi problématique. Selon le Collectif pour un Québec sans pauvreté, l’aide de 500 $ pourra aider les personnes en situation de pauvreté à ne pas s’appauvrir davantage pour un temps, mais elle n’améliorera pas leur revenu comme tel.

« C’est certain qu’un montant de 500 $ peut faire, sur le coup, une différence pour des personnes prises à la gorge, souligne le porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté, Serge Petitclerc. Ça va servir à payer la carte de crédit déjà bien remplie, l’épicerie, le loyer et les factures qui s’accumulent. Au mieux, ça va ralentir momentanément leur appauvrissement. Mais le montant sera vite dépensé. Et que se passera-t-il ensuite? Avec ce budget, le gouvernement fait juste pelleter les problèmes des personnes en situation de pauvreté par en avant. Dans peu de temps, elles seront revenues au point de départ. Parions que les banques alimentaires n’auront pas un long répit! Des mesures structurantes de lutte contre la pauvreté étaient nécessaires, le budget n’en propose malheureusement aucune. »

Au Québec, une personne sur 10 au Québec ne couvre pas ses besoins de base. Véritable déni de droit et atteinte à la dignité des personnes, la pauvreté vécu pèse quotidiennement, tout au long de l’année, et ce d’autant plus en contexte du hausse du coût de la vie et de crise du logement.

« […] le gouvernement aurait dû accorder une attention spéciale aux personnes en situation de pauvreté. Encore plus dans le contexte actuel. Ces personnes sont plus durement touchées par la moindre hausse des prix, car elles vivent déjà dans le rouge à l’année, sans aucune marge de manœuvre. Pourquoi avoir fait le choix de donner moins d’argent aux plus pauvres pour pouvoir en donner aussi à ceux et celles gagnant jusqu’à 105 000 $ ? C’est le contraire que le gouvernement aurait dû faire : favoriser une redistribution de la richesse collective des personnes les plus fortunées vers les moins nanties. »

« 500$ pour tous, ou 1,37$ par jour » 

Dans un article paru dans le Le Devoir, Daniel Paillé, ex-député et ministre, questionne si cette mesure est « vraiment utile » et s’il s’agit d’une « véritable mesure fiscale, sociale et économique » ? Sa réponse : « Non, singulièrement non. »

« La somme, 1,37 $ par jour pour les personnes seules et 2,74 $ pour les couples, est ridicule et nettement insuffisante pour ceux qui en ont vraiment besoin. C’eût été préférable de restreindre de beaucoup la population touchée (revenu maximum de 25 000 $ ou 30 000 $) que d’aller saupoudrer pour tous […] Manifestement, le gouvernement a confondu « contribuables dans le besoin » et « électeurs ». »

Toujours dans Le Devoir, on rappelle dans un article d’Éric Desrosiers que les 500 $ par personne promis par le gouvernement Legault pour compenser la cherté de la vie ne se rendront probablement pas à tous ceux à qui ils sont destinés, surtout aux personnes les plus démunies et les plus dans le besoin.

« Dans les faits, des dizaines de milliers de personnes, notamment parmi les plus démunies, ne recevront pas cet argent. Pas plus d’ailleurs qu’elles ne recevront cet autre montant forfaitaire de 275 $ pour les personnes seules et 400 $ pour les couples promis cet automne précisément aux 3,3 millions de Québécois à plus faibles revenus, ni plusieurs autres transferts sociaux, qui exigent tous qu’on produise une déclaration de revenus pour pouvoir en bénéficier. »

En effet, comme le souligne Francine Hamel, intervenante en défense collective des droits à l’Association coopérative d’économie familiale de Québec : il n’est pas rare de voir que les gens à qui seraient destinés ces programmes d’aide financière sont ceux-là mêmes qui ne produisent pas de déclaration de revenus. « Ils ont tous les âges et sont de tout acabit. Ça peut-être des personnes âgées et isolées, des toxicomanes, des personnes judiciarisées, des itinérants… Les immigrants et les réfugiés s’en tirent souvent mieux parce qu’ils sont mieux accompagnés. »

« Des mesures structurantes plutôt que des mesures ponctuelles » 

Dans son communiqué en réaction au budget provincial, le Collectif pour un Québec sans pauvreté insiste pour souligner les mesures structurantes qui en sont absentes et qui auraient un impact profond pour lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités sociales.

– Rehausser les protections publiques de façon à assurer à tous les ménages un revenu au moins égal à la Mesure du panier de consommation (MPC);

– Fixer le salaire minimum à 18 $ l’heure afin qu’une personne seule travaillant 35 h par semaine puisse sortir de la pauvreté;

– Procéder à un réinvestissement massif et immédiat dans les services publics afin d’en assurer la qualité et l’accessibilité.

« Il y a plusieurs mesures concrètes qui auraient permis d’augmenter rapidement et durablement leurs revenus, comme l’augmentation permanente du Crédit d’impôt pour solidarité, l’élargissement du Crédit d’impôt pour le soutien des aînés aux personnes de 65 à 69 ans, l’augmentation des prestations d’assistance sociale et l’indexation trimestrielle de ces dernières. On aurait aussi pu geler les tarifs d’électricité. Toutes ces demandes ont été écartées par le ministre.

« Par ailleurs, le gouvernement avait la chance d’ajuster le montant des prestations d’assistance sociale selon la MPC révisée pour respecter les cibles du dernier plan de lutte contre la pauvreté. Encore là, le ministre a préféré maintenir le statu quo. Mais nous pouvons souligner le pas supplémentaire qui a été fait pour mettre fin au détournement des pensions alimentaires pour enfants, l’exemption passant de 350 $ à 500 $. »

« Bonification de l’exemption de la pension alimentaire pour enfant » 

Cependant, mentionnons que le budget provincial du 22 mars dernier comprenait une autre mesure en matière de lutte à la pauvreté. Il s’agit de la bonification de l’exemption de la pension alimentaire pour enfant, passant de 350 $ à 500 $ par mois par enfant dans les programmes sociaux : aide sociale, aide financière aux études, aide aux logement et aide juridique. Cette bonification touchera près de 95 % des ménages bénéficiant de ces programmes. Rappelons que le gouvernement avait déjà bonifié ces exemptions dans le budget de 2019.

« Après tant d’années, il était temps de mettre fin à cette discrimination pour ces familles qui comptent sur ces revenus supplémentaires pour voir leurs conditions de vie s’améliorer », affirme Sylvie Lévesque, directrice générale de la FAFMRQ.

Fruit d’une longue lutte mener par les organismes communautaires de défense des droits et ceux agissant auprès des familles et des femmes, il s’agit d’un gain majeur pour les familles monoparentales prestataires d’un ou de plusieurs des quatre programmes visés par cette mesure. Rappelons cependant que la revendication de la FAFMRQ demeure que 100% des pensions alimentaires pour enfants cessent d’être considérées comme un revenu dans l’ensemble des programmes gouvernementaux. Nous poursuivrons donc nos luttes jusqu’à ce que nous ayons obtenus gains de cause!

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Par ici pour s’informer des solutions mises de l’avant par le Collectif pour un Québec sans pauvreté et prendre part aux campagnes d’actions.

Pour vous impliquer, entrez en contact avec le collectif d’action de votre région.